Rétrospective des dernières lois de financement de la sécurité sociale (2017-2022)

Prévention des pénuries de médicaments

 

La chaîne de production et de distribution des médicaments fait parfois l’objet de dysfonctionnements conduisant à des pénuries transitoires. La crise de la Covid-19, notre dépendance à l’étranger, ainsi que la complexification du parcours du médicament ont poussé la thématique de la gestion de ces pénuries dans le débat public ces dernières années, transcrite en partie dans les dernières lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS).

Les pénuries de médicaments peuvent avoir des conséquences sur les soins, et inquiètent les soignants, les patients, et les autorités sanitaires, administratives et politiques. Les entreprises du médicament font, de l’approvisionnement en médicaments, leur priorité. Ces dernières années, des engagements et mesures ont été mis en œuvre de concert par les entreprises et les autorités au niveau national et européen.

 

Les ruptures d’approvisionnement, une chaîne de responsabilité dans un contexte mondialisé

 

Quelques définitions 

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Le décret du 20 juillet 2016 établit une distinction entre les ruptures de stock et les ruptures d’approvisionnement (voir module « Les défis de la production et de la distribution pharmaceutiques »)

Une rupture de stock se définit comme l’impossibilité pour un laboratoire pharmaceutique de fabriquer un médicament, entraînant par conséquent une rupture de l’approvisionnement des pharmacies de ville ou hospitalières, qui se retrouvent dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient. La rupture de stock a le plus souvent un impact européen ou mondial.

Une rupture d’approvisionnement est définie de manière plus large comme l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur (PUI) hospitalière de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures après avoir fait une demande auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. La rupture d’approvisionnement peut résulter d’une rupture de stock ou d’une difficulté rencontrée dans la chaîne de distribution.

 

Une chaîne de responsabilité

Depuis plus d’une décennie, les situations de ruptures de stocks et d’approvisionnement ont pris de l’ampleur en France, en Europe et dans le monde. Les ruptures d’approvisionnement relèvent d’une chaîne de responsabilité collective et complexe, dont les entreprises du médicament ne sont qu’un maillon parmi d’autres. Les causes sont en effet multiples.

 

Des problématiques d’ordre logistique et technique peuvent survenir

Des défaillances techniques de l’outil de production peuvent survenir à tout moment, qu’elles soient d’origine interne (ex. panne du matériel) ou qu’il s’agisse d’évènements externes (ex. climatiques). Compte tenu de la mondialisation, de l’augmentation du niveau technologique et des contraintes réglementaires, une concentration et une spécialisation des sites par type de procédés et molécules fabriquées est observée, notamment pour les médicaments de biotechnologie. La chaîne de production peut ainsi dépendre d’un seul site.

Les industriels ont également progressivement délocalisé une partie de la production de médicaments chimiques et de principes actifs dans des pays où les coûts de production sont moins importants. Ainsi, 80 % des principes actifs sont fabriqués hors de l’Union européenne, avec parfois un nombre limité de fournisseurs.

Parallèlement, les normes de qualité nécessaires – englobant notamment les bonnes pratiques de fabrication, les normes environnementales et les normes RSE – sont nombreuses. La flexibilité sur la chaîne de production est par ailleurs très réduite : tout changement dans les procédés de fabrication doit faire l’objet d’une déclaration auprès des autorités de contrôle.

 

Dans une économie mondialisée, une demande de médicaments en forte croissance au niveau mondial

La croissance des marchés émergents dans la consommation de médicaments a pu inciter les industriels à s’implanter à l’étranger. Depuis 2017, la Chine est devenue le 2ème marché mondial du médicament derrière les Etats-Unis – représentant à eux-seuls plus de 50% du marché. Encouragé par une politique de santé publique volontariste – notamment concernant l’accès aux médicaments de base et la vaccination, le marché chinois est en forte croissance.

La crise de la Covid-19 a accentué la conscience des pays sur le besoin de disposer de certains médicaments essentiels.

 

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Exemple des vaccins

La Chine a lancé de vastes campagnes de vaccination. A titre d’exemple, 100 millions d’enfants chinois ont été vaccinés contre la rougeole en 2010 avec l’objectif d’éradiquer la maladie en quelques années. Des campagnes de vaccination de très grande ampleur ont également été mises en place en Afrique ces dernières années. Une forte et récente augmentation (2015-2017) de la demande en vaccins sur le marché mondial a été la principale cause de tensions d’approvisionnement et de ruptures de stocks de vaccins. Dans le cas des vaccins, la forte demande n’est cependant pas la seule cause. D’autres causes peuvent être identifiées telles que le délai de production particulièrement long des vaccins, la complexité croissante des normes réglementaires et l’absence d’harmonisation des calendriers vaccinaux entre les différents pays.

 

Un environnement économique nécessitant un meilleur encadrement

 

Au-delà des fortes pressions économiques, la croissance des marchés émergents dans la consommation de médicaments a pu inciter les industriels à s’implanter à l’étranger. Certains acteurs auditionnés dans le cadre de la mission d’information sur les médicaments de l’Assemblée nationale pointent aussi la politique continue de baisse des prix des médicaments en France. Cette diminution des prix aurait entraîné une pression importante sur les fournisseurs, au détriment des acteurs nationaux et européens. Par ailleurs, se pose la question des exportations parallèles et des grossistes-répartiteurs, shortliners.

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Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter le module sur Les défis de la production et de la distribution pharmaceutique.

Les leviers législatifs

Le législateur a lui aussi développé un arsenal visant à assurer la disponibilité des produits de santé.

L’arsenal a été déployé initialement par la ministre de la Santé Marisol Touraine pour lutter durablement contre les ruptures d’approvisionnement. Outre l’obligation faite aux industriels de mettre en place des plans de gestion des pénuries pour les Médicaments ou classes de médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM), la loi de modernisation de notre système de santé interdit l’export de ces médicaments, lorsqu’ils sont en rupture ou en risque de rupture. 

Les modalités des appels d’offres hospitaliers accentuant les risques de ruptures

L’hôpital est le plus touché par les conséquences de ces ruptures, du fait notamment de l’usage plus fréquent des formes injectables, mais aussi du fonctionnement actuel des appels d’offres hospitaliers. Le plus souvent, un seul fournisseur est retenu, ce qui complique la possibilité de « dépannage » par un autre laboratoire. Et lorsqu’un deuxième fournisseur est désigné, c’est le plus souvent en « back up », sans aucune visibilité sur le volume de médicaments qui pourrait lui être commandé. Ce fonctionnement accentue les risques de rupture.

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Profil type des médicaments à risque de rupture (rapport BIOT, 2019) 

Un médicament

●   « mature »,
●   appartenant à 3 classes thérapeutiques (c.-à-d. anti-infectieux, anticancéreux, médicaments du système nerveux central),
●   administré sous forme injectable,
●   utilisé à l’hôpital, et,
●   avec un faible volume de consommation.

N.B. Dans son enquête auprès des exploitants français en 2018, le LEEM a généré un constat très proche.

 

Historiques des engagements & des mesures

 

Les engagements des industriels

 

Au niveau de l’entreprise, les industriels ont, depuis longtemps, mis en œuvre des mesures de suivi et de gestion des stocks.

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Des réflexions collectives ont également été menées.

Plan « Ruptures » du LEEM (février 2019)

 

Le LEEM a proposé un plan Ruptures, visant à identifier les mesures prioritaires à mettre en place pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments les plus indispensables pour le patient (médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique – MISS), c’est-à-dire ceux pour lesquels il n’existe pas ou peu d’alternatives thérapeutiques et dont la rupture entraîne un risque vital pour les patients. D’autres recommandations ont été émises depuis, qui s’accordent sur la pluralité des causes, des acteurs et des solutions à mettre en œuvre.

Articulation autour de 6 axes :

  • Définir les médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique (MISS) pour lesquels des obligations de sécurisation sont renforcées ;
  • Revoir les mécanismes d’appels d’offres hospitaliers pour les médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique (MISS) et les conditions économiques d’exploitation en ville ;
  • Favoriser la localisation en Europe des sites de production des matières premières actives et des MISS ;
  • Optimiser le partage d’informations entre les acteurs de la chaîne du médicament et les patients ;
  • Adapter l’encadrement de la distribution en cas de tension ou rupture d’approvisionnement ;
  • Renforcer le pilotage stratégique au niveau national et favoriser l’harmonisation des pratiques règlementaires au niveau européen.

 

 

Plateforme « TRACStocks » (Traçabilité Risque Anticipation Consolidation des Stocks)

 

Créée conjointement par le LEEM (Les Entreprises du médicament), le GEMME (association GEnérique Même MEdicament) et le LEMI (Les laboratoires des médicaments d'importation parallèle), elle a été lancée en décembre 2020, en coordination avec l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) pour améliorer l’information sur les tensions des médicaments essentiels (notamment les produits de réanimation et soins d’urgence indispensables pour la prise en charge des patients souffrant de la Covid-19). Elle permet de suivre les stocks agrégés de médicaments et d’identifier les situations dans lesquelles les efforts sont à porter en priorité pour éviter la rupture sèche.

Voir module « Les défis de la production et de la distribution pharmaceutiques »

 

 

 

 

 

 

 

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La loi n° 2016-41 de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a introduit (article 151) la définition des MITM.

Les MITM sont des produits pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients. Parmi ces médicaments, ceux dont la rupture ou le risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave et immédiat font l’objet d’un « Plan de Gestion des Pénuries » (PGP) dont le but est, dans l'intérêt des patients, de prévenir et de pallier toute rupture de stock.

Le décret « relatif au stock de sécurité destiné au marché national » publié au Journal Officiel le 31 mars est entré en vigueur le 1er septembre 2021. Ce décret met en œuvre l'article 48 de la LFSS pour 2020 qui crée, pour tous les titulaires d’autorisation de mise sur le marché et les exploitants de médicaments, l’obligation de constitution d’un stock de sécurité destiné au marché national.

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Principaux éléments du décret à retenir

●  Stock de sécurité minimal fixé à 2 mois de couverture des besoins pour les MITM et 1 semaine pour les non-MITM. Ce délai de 1 semaine peut être porté à 1 mois pour les médicaments contribuant à une politique de santé publique.

●  Pour les MITM, possibilité pour l’ANSM : de décider d’office d’augmenter le seuil de 2 mois, dans la limite de 4 mois, lorsque la spécialité fait l'objet de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers dans les deux années civiles précédentes ; De décider de diminuer le seuil à la demande du laboratoire dans quatre situations : durée de conservation ; production de la spécialité mise en œuvre de façon adaptée à chaque patient ou fabriquée à partir de produits d'origine humaine ; saisonnalité des besoins de la spécialité ; gaz à usage médical. En cas de modification des seuils des stocks de sécurité, un délai de 6 mois est également laissé aux entreprises pour ajuster leurs stocks.

Ces mesures conjointes ont déjà conduits à des premiers succès – avec un début d'infléchissement des signalements de ruptures de stocks en 2021 (2 160 signalements de ruptures de stock, de risques de ruptures ou de difficulté anticipée pour la mise à disposition de MITM reçus par l’ANSM, contre 2 446 en 2020).

Vue d’ensemble des articles au cours des 5 dernières années

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Focus sur les articles d’intérêt

 

Article 48 (LFSS pour 2020)

Les mesures mises en place depuis 2016 et entrées en vigueur en 2017 n’ont pas suffisamment permis de pallier les ruptures de stocks de médicaments. Un renforcement de la législation a alors été souhaité par le gouvernement afin de renforcer la régulation des pénuries et de permettre une meilleure anticipation et gestion de celles-ci dans l’objectif d’assurer la continuité de traitement des patients.

En premier lieu, la mesure impliquait que toute entreprise pharmaceutique exploitant un médicament constitue un stock de sécurité destiné au marché national dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat.

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Les enseignements de la crise de la Covid-19

Face à l’explosion de la demande mondiale en produits anesthésiques, une coordination logistique renforcée entre l’ensemble des acteurs de la chaîne du médicament a permis d’augmenter la production et les quantités livrées à l’Etat. Les fortes tensions d’approvisionnement sur les molécules indispensables à la prise en charge des patients Covid-19 ne se sont pas transformées en ruptures grâce à une grande réactivité. En effet, le mécanisme des stocks a montré ses limites et la reconstitution de ces derniers a été permise par la grande agilité des entreprises au cours de cette période. Pour augmenter les très importantes quantités sollicitées par l’Etat en fonction des besoins des établissements de soins, les entreprises du médicament ont fait preuve de beaucoup d’agilité :

● Recherche quotidienne active de lots supplémentaires destinés initialement à d’autres pays ;
● Réorientation de stocks internationaux pour augmenter les stocks disponibles pour les patients français ;
● Augmentation la plus importante possible des capacités de production disponibles pour augmenter les stocks, nécessitant parfois de décaler les plannings de production d’autres médicaments ;
● Partage et transmission d’informations entre les acteurs publics et privés (coordination besoins-allocations).

Cette crise sanitaire a mis en lumière le manque de coordination européenne pour la répartition et la gestion des stocks de médicaments. Certes, une trentaine de molécules ont fait l’objet d’une centralisation des niveaux de stocks européens pendant cette crise sanitaire. Mais cela n’a pas empêché certains Etats-membres de constituer des surstocks, alors que d’autres Etats auraient aussi eu besoin d’être davantage approvisionnés à ce moment précis. S’il est tentant pour chaque Etat de sécuriser son propre marché, cela ne devrait se faire que dans le cadre d’une coordination européenne renforcée.

En deuxième lieu, afin de pallier aux ruptures de stock de MITM, lorsque les mesures communiquées par l’entreprise pharmaceutique exploitante ne permettent pas de couvrir les besoins nationaux dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat, il est ainsi permis au Directeur général de l’Agence de faire procéder par l’entreprise pharmaceutique exploitante, à l’importation de toute alternative au médicament d'intérêt thérapeutique majeur en rupture dans la limite de la durée de la rupture. L’entreprise défaillante exploitant le médicament versera à l’Assurance maladie la différence entre les montants remboursés par l’Assurance maladie au titre de la prise en charge de l’alternative au médicament et ceux qui auraient résulté de la prise en charge au titre du médicament initial pendant la période de rupture. L’alternative au médicament en rupture est soit un médicament importé, soit un médicament déjà commercialisé en France. Enfin, le champ de sanctions financières est élargi afin de venir sanctionner les manquements des opérateurs aux obligations qui leur incombent, notamment en cas de défaut d’information de l’ANSM de tout arrêt de commercialisation, en cas d’arrêt de commercialisation avant la fin du délai nécessaire pour mettre en place les solutions alternatives, lorsque les mesures prévues dans le PGP sont défaillantes.

Ces dernières mesures ajoutent une pression financière aux obligations des industriels.

Article 61 (LFSS pour 2022)

Le but de cette mesure est de pouvoir renouveler, à la demande, une production en urgence de médicaments sous forme de préparations hospitalières par un maillage de PUI ou un établissement pharmaceutique (EP) type AP-HP et de pouvoir la transposer à des façonniers en sous-traitance. La mise en place d’une telle organisation vise à répondre, au regard du retour d’expérience de la crise de la Covid-19, à un réel enjeu de santé publique et à permettre une anticipation des mesures et une production de médicaments vitaux (ici cisatracurium), dans un temps court, en cas de tension/rupture mondiale. En effet, en période de crise sanitaire et compte tenu de la demande mondiale, les stocks industriels sont extrêmement bas et ce, malgré une production industrielle pharmaceutique mondiale maximale. Aussi, la production de ces préparations hospitalières peut s’avérer essentielle pour une poursuite des soins des patients en réanimation.

Deux difficultés restent cependant à lever pour faciliter une telle démarche :

  1. La procédure d’autorisation d'une telle production normalement limitée à des produits pour lesquelles les fournisseurs ne prévoient pas de mise sur le marché ;
  2. Un modèle économique qui sécurise les établissements de santé au-delà du seul remboursement entre établissements des préparations hospitalières et permette d’activer un dispositif de « scale up » (montée en échelle de la production) auprès de façonniers.

Cette mesure y répond en adaptant le statut des produits, soit par une procédure d’autorisation par l’ANSM pour les médicaments produits en série à partir d’une monographie validée par l’ANSM, soit par la formalisation d’un nouveau statut de « préparations spéciales » et leur dossier associé à partir d’une pharmacopée afin d’avoir recours aux PUI des établissements de santé ou aux pharmacies d'officine pour les réaliser. Ces préparations spéciales auront pour objectif de répondre à des enjeux de tension, rupture ou crise sanitaire dans un périmètre défini par l’autorisation spéciale du ministre chargé de la santé ou du Directeur général de l’ANSM. Ces préparations réalisées par les PUI pourront être par la suite réalisées par les établissements pharmaceutiques sous-traitants (façonniers). Cette démarche de « scale–up » avec transition possible des pharmacies avec un dossier constitué à partir d’une pharmacopée vers les établissements pharmaceutiques sous-traitants est à encourager et passe par l’action initiale et agile des préparations spéciales en PUI. Elle identifie également le niveau de financement incitatif à associer pour qu'un réseau de PUI mette en place un réseau avec des façonniers activables en cas de crise.

 

Acteurs mentionnés dans cet article

 


NO-FR-2400124-NP-Juin 2024